Anissa Djelassi portraitAnissa Djelassi est diplômée du Master de spécialisation en droit européen, un programme disposant du label IEE. Elle accomplit actuellement une convention d’immersion professionnelle à l’Institut d’études européennes en tant qu’assistante de recherche et de coordination au Centre de droit européen et est anciennement stagiaire de l’Equality Law Clinic de l’ULB.


Accès au loisir : une thématique majeure pour l’inclusion des enfants en situation de handicap

En 2018, le territoire de l’Union européenne comptait quatre vingt millions de personnes en situation de handicap, soit plus de 15% de sa population. Ces chiffres, qui englobent des enfants, sont voués à augmenter avec l’accroissement des problèmes de santé chroniques tels que le diabète, les troubles de la santé mentale, le cancer et les maladies cardiovasculaires.

Les questions relatives au handicap sont donc cruciales. Parmi elles, l’accès aux activités extrascolaires pour les enfants en situation de handicap constitue un enjeu de taille, qu’elles soient culturelles, artistiques, sportives ou tout simplement récréatives.

De fait, les loisirs procurent un réel bénéfice aux enfants, tout particulièrement à ceux qui doivent composer avec un handicap.

Les activités récréatives avec d’autres enfants sont tout aussi indispensables que l’accès à l’éducation.

La participation effective des enfants en situation de handicap à des activités de loisirs inclusives contribue sensiblement au développement de leur personnalité, à l’expression de leur potentiel, à la dissipation des stéréotypes à leur égard et donc, à leur épanouissement.

Pourtant, l’Organisation Mondiale de la Santé et Unicef tirent la sonnette d’alarme : les services de loisirs offerts aux enfants porteurs d’un handicap restent insuffisants ou trop peu adaptés, le continent européen ne faisant pas exception. Le manque de ressources financières et humaines consacrées aux loisirs, combiné aux rares engagements politiques concrets en la matière constituent les principaux remparts au bien-être des enfants en situation de handicap. Une telle situation aggrave leur exclusion sociale ainsi que leur précarité par rapport aux autres enfants, ce qui entraine des différences de traitement potentiellement discriminatoires.

C’est au départ de ces constats rapidement brossés que nous nous proposons de faire le point sur le rôle de l’Union européenne en ce domaine et sur les (bonnes) pratiques qu’elle met en œuvre afin que le droit aux loisirs ne soit pas illusoire.

L’Union européenne : un acteur dirigé vers les droits des enfants en situation de handicap

L’action de l’Union européenne en cette matière s’inscrit dans la droite ligne de l’évolution des traités internationaux pertinents. En ratifiant la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées en 2010, l’Union européenne s’est engagée à respecter les droits des personnes en situation de handicap, en ce compris ceux des enfants. Notons que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant n’est pas ouverte à la ratification d’« organisations d’intégration régionale » telle que l’Union, mais jouit d’une place importante en tant que source d’inspiration dans l’élaboration des textes européens relatifs à l’enfance et au handicap, qu’ils soient contraignants ou non.

Le droit européen, un outil opérant face au droit aux loisirs ?

Dans l’histoire de la construction européenne, c’est le traité d’Amsterdam qui fait pour la première fois référence aux discriminations fondées, entre autres, sur les critères du handicap et de l’âge en son article 13 CE (devenu article 19 TFUE). Cette disposition permet à l’Union d’intervenir dans la lutte contre les discriminations.

Vient ensuite l’adoption du traité de Lisbonne en 2007. Depuis son entrée en vigueur en 2009, la Charte des droits fondamentaux se voit reconnaître valeur de droit primaire, au même titre que le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Y sont notamment consacrés les droits à l’égalité et à la non-discrimination (articles 20 et 21), la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 24, §2) ainsi que l’intégration des personnes handicapées (article 26). Ce dernier dispose que

« l’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté »

La Charte traduit ainsi l’aspiration de l’Union à améliorer la qualité de vie des personnes en situation de handicap, en ce compris les enfants.

C’est alors que le 17 avril 2019, le Parlement européen et le Conseil adoptent la directive 2019/882 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services. Dans son avis favorable rendu en 2016, le Comité économique et social européen a notamment souligné la nécessité pour l’Union et ses États membres de réaliser « leurs obligations en matière d’accessibilité au titre de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées » (point 2.7).

L’Agence européenne des droits fondamentaux a toutefois fait part en 2018 de ses inquiétudes en ce que « certaines initiatives (…) ne sont pas assorties d’objectifs clairs, de budgets suffisants ». En outre, les institutions européennes n’auraient pas suffisamment envisagé de connexité entre la directive, les règlements relatifs aux Fonds structurels et d’investissement européens et la directive sur la passation des marchés publics.

L’objectif premier de la directive n’est pas d’améliorer la qualité de vie des personnes en situation de handicap mais de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur.

Pour ce faire, la directive prévoit notamment une accessibilité harmonisée d’une liste fermée de biens et services tels que les médias audiovisuels, les services de communications électroniques, les livres numériques, les services sur appareils mobiles, etc.

Si la directive contribue à l’autonomie des personnes en situation de handicap sans pour autant en être la motivation centrale, il semble que son impact concret sur le droit aux loisirs devra être relativisé. De fait, les enfants en situation de handicap sont en mesure de la mobiliser, en la rattachant au droit à l’égalité et à la non-discrimination, à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’intégration des personnes handicapées tels que consacrés par la Charte des droits fondamentaux pour faire valoir leur droit aux loisirs.

Cependant, seuls les biens et services répertoriés à l’article 2 de la directive seront accessibles aux enfants en situation de handicap, et ce, en raison « d’un examen réalisé au cours de l’élaboration de l’analyse d’impact, qui a recensé des produits et services pertinents pour les personnes handicapées, pour lesquels les États membres ont adopté ou sont susceptibles d’adopter des exigences nationales divergentes en matière d’accessibilité qui perturbent le fonctionnement du marché intérieur » (Préambule, paragraphe 18). La directive n’a pas vocation à rendre accessibles les infrastructures de loisirs, puisqu’elles ne font pas partie de la liste. Par ailleurs, la directive ne trouve à s’appliquer qu’aux biens et services proposés après le 28 juin 2025.

La multiplication des initiatives européennes relatives au handicap et aux loisirs

Depuis une vingtaine d’années, l’Union européenne a développé en la matière un véritable arsenal de textes non contraignants.

Le Conseil a initialement développé un programme d’action communautaire de lutte contre la discrimination qui fut d’application de 2001 jusqu’à 2006.  Il encourageait la mise en œuvre de mesures concrètes afin de combattre les discriminations et évoquait la nécessité de prendre en compte les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap dans l’accès à certaines activités.

Dans le même ordre d’idées, l’Union a adopté en 2010 une stratégie européenne en faveur des personnes handicapées qui prendra fin cette année 2020. Elle vise notamment à faire en sorte que les personnes en situation de handicap prennent « part à des activités culturelles, récréatives et sportives ». Pour ce faire, elle envisage expressément de rendre plus accessibles les « organisations, activités, structures, biens et services sportifs, récréatifs et culturels, y compris audiovisuels » dans les différents États membres de l’Union.

En février 2017, le Parlement européen a pris une résolution favorisant une approche intégrée de la politique des sports. Cette dernière établit que les personnes en situation de handicap devraient accéder équitablement à toute installation sportive et invite les États membres à mettre en place, dans les établissements scolaires et universitaires, des programmes sportifs adaptés menés par des entraîneurs qualifiés. Le Parlement fait par ailleurs de la promotion du sport auprès des personnes en situation de handicap une « priorité absolue ».

Le sport présente effectivement un nombre d’atouts considérables, tout particulièrement vis-à-vis des enfants porteurs d’un handicap. Il améliore leur qualité de vie ainsi que leurs capacités physiques et mentales. La pratique d’activités sportives influe tout aussi favorablement sur leurs facultés de concentration, la perception de leur corps et étoffe l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. Le sport a également tendance à éliminer les barrières sociales, ce qui permet aux enfants en situation de handicap de nouer des amitiés avec des enfants de leur âge et ce, qu’ils soient porteurs d’un handicap ou non. Les enfants en situation de handicap affirment eux-mêmes que leur participation à des activités sportives crée un facteur d’égalisation avec les autres enfants et légitime leur identité sociale auprès de leurs co-équipiers.

Le sport est incontestablement un excellent moyen d’inclusion pour les enfants vulnérables, tels que ceux en situation de handicap.

Forte de ces enseignements, la Commission a publié, en 2018, un rapport relatif au sport. Elle y rappelle les bienfaits que procurent les activités physiques sur les personnes en situation de handicap et en quoi elles peuvent détruire les différents obstacles auxquels sont confrontés ces dernières.

Via ce rapport, la Commission souhaite remédier au manque d’opportunités sportives inclusives en promouvant des événements organisés dans le cadre du programme Erasmus+ et en mettant en lumière des bonnes pratiques en Europe (événements sportifs ouverts aux personnes porteuses d’un handicap ou non, création d’un réseau entre différentes associations sportives, etc.).

Le dernier texte en date a été adopté le 20 novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Il s’agit d’une proposition de résolution du Parlement européen qui fait de la promotion des droits de l’enfant un objectif transversal, à prendre en compte dans toutes les politiques et investissements de l’Union. À cet égard, l’accès des enfants aux services de base est considéré comme primordial, d’autant plus lorsqu’il concerne des enfants particulièrement vulnérables. Les députés européens à l’origine de cette proposition encouragent l’Union européenne et ses États membres à investir dans l’enfance en développant « les services publics (…) proposant des activités de loisirs (…) ». Cette proposition énumère également une série de mesures assez novatrices dans la protection des droits de l’enfant, telles que la mobilisation des technologies numériques pour réduire les inégalités entre les enfants, la réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de prémunir les enfants contre les effets néfastes du réchauffement climatique et l’utilisation d’indicateurs de développement durable liés aux droits de l’enfant.

La balle est dans le camp du l’UE pour plus d’action

À en juger par les textes dont elle s’est dotée, il est clair que l’Union européenne s’est engagée en faveur de l’inclusion des enfants en situation de handicap dans les activités de loisirs. Les espaces dédiés aux loisirs sont un terrain propice à cette inclusion qui permet à un enfant d’être un enfant. Il importe donc de poursuivre les initiatives allant en ce sens, tout en  rendant visibles les actions qui ont déjà été accomplies.

Si les efforts consentis par l’Union ne peuvent qu’être salués, une affirmation juridique plus forte du droit aux loisirs serait la bienvenue afin de lui accorder le même crédit que le droit à l’éducation ou aux soins. Une première démarche allant en ce sens consisterait à étendre le champ d’application de la directive 2019/882 ou d’enfin adopter la proposition de directive relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle, discutée depuis plus de dix ans… Cette dernière permettrait de compléter le cadre européen de la non-discrimination.

Par ailleurs, il importe que l’Union européenne prenne toute la mesure des discriminations intersectionnelles qui frappent de plein fouet les enfants en situation de handicap.

Ce type de discriminations combine plusieurs motifs de discrimination qui, une fois conjugués, créent un préjugé particulièrement grave au détriment des personnes réunissant ces vulnérabilités. Les enfants en situation de handicap sont effectivement surexposés aux discriminations intersectionnelles. Ils sont davantage issus de familles monoparentales que leurs pairs qui seraient dépourvus d’un handicap et sont bien plus confrontés à la précarité.

Si certains enfants en situation de handicap ne peuvent accéder effectivement aux établissements de loisirs, ce n’est donc pas exclusivement en raison de leur handicap, mais plutôt à cause de la rencontre de leur handicap avec leurs origines sociales et leur fortune qui crée une situation discriminatoire tout à fait spécifique.

À ce sujet, nous renvoyons vers la contribution « Les outils et les arguments juridiques contre la pauvrophobie » de l’Equality Law Clinic pour le trimestriel du Forum-Bruxelles contre les inégalités.

À cet égard, un nombre important d’experts entendus pour la rédaction d’un rapport (relatif au genre) commandé par la Commission européenne estiment que l’Union devrait, à l’avenir, être mieux parée contre les discriminations intersectionnelles.

Une piste à suivre pour prévenir et lutter efficacement contre les discriminations à l’égard de ces enfants sans dénaturer la réalité de leur situation consisterait à intégrer des dispositions relatives aux discriminations intersectionnelles dans la proposition de directive relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement. Ce serait une étape supplémentaire vers une plus grande effectivité des droits fondamentaux propres aux enfants en situation de handicap.


Les termes utilisés (tels que « enfants », « ressortissants », « experts ») sont entendus dans leur sens épicène, de sorte qu’ils visent tous les individus sans distinction d’identité de genre.

Photo principale : Nathan Anderson pour Unsplash
Photo intérieure par Ingrid Barrentine / Flickr