Anne WeyemberghEmmanuelle Bribosia est professeure à temps plein en droit européen et droits fondamentaux à l’ULB (Faculté de droit et Institut d’Etudes européennes). Elle est directrice du Centre de droit européen et coordonne le Master de spécialisation en droit européen.
Anne Weyembergh 
est professeure à temps plein à l’ULB (Faculté de droit et Institut d’Etudes européennes). Elle préside également l’Institut d’étude européennes.


Dans le contexte actuel, marqué par la multiplication des attaques terroristes et la menace qui les accompagne, la nécessité de trouver un juste équilibre entre le pôle « sécurité » (lutte contre l’impunité) et le pôle « liberté » (protection des droits fondamentaux) est particulièrement aiguë. Cette tension, particulièrement mise en exergue par les événements récents, imprègne le droit pénal à tous les niveaux, en ce compris le droit pénal européen.

Les premiers efforts visant à développer un espace pénal européen datent des années 1970, en vue de lutter plus efficacement contre la menace euro-terroriste (Rote Armee Fraktion, Brigades rouges, etc.). Mais c’est surtout depuis le tournant du millénaire que la coopération policière et judiciaire en matière pénale a connu un grand essor. Le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale, initié en octobre 1999 par le Conseil européen de Tampere, en témoigne. En vertu de ce principe, les décisions judiciaires adoptées dans un Etat membre doivent être reconnues et exécutées dans les autres Etats membres, en dépit des divergences entre les systèmes pénaux nationaux. C’est la confiance mutuelle due entre Etats membres et autorités nationales compétentes qui fonde le principe. La décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et à la procédure de remise entre Etats membres, adoptée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, en constitue la première concrétisation. Cet instrument vise à simplifier et à accélérer la procédure extraditionnelle classique, en la remplaçant par une procédure de remise plus efficace.

Bien que l’application de cet instrument puisse incontestablement faire encore l’objet d’améliorations, il est considéré comme la « success story » de l’espace pénal européen. Parmi les questions soulevées par sa mise en oeuvre, figure celle des limites de la confiance mutuelle. Des motifs de refus ont été maintenus dans la décision-cadre, permettant aux autorités d’exécution de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen et donc de remettre la personne dans un nombre de cas limitativement énumérés. La reconnaissance mutuelle est donc loin d’être automatique. Parmi ces motifs de refus, la décision-cadre ne prévoit toutefois pas la violation ou le risque de violation de droits fondamentaux en cas de remise à l’Etat d’émission.

C’est précisément la question de savoir si une autorité d’exécution peut refuser la remise en cas de risque de traitement inhumains et dégradants liés à la détention dans l’Etat d’émission qui était au cœur de l’arrêt Aranyosi – Caldararu, rendu par la Cour de justice, le 5 avril 2016. Dans l’affaire Aranyosi, un mandat d’arrêt européen avait été émis par une autorité hongroise à des fins de poursuites pour faits de vols avec effraction. Mais, selon le juge de renvoi allemand (Hanseatisches Oberlandesgericht Bremen), il existait de sérieux indices qu’en cas de remise, Aranyosi soit soumis à des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il se référait entre autres à cet égard à un arrêt de la Cour EDH du 10 mars 2015 condamnant la Hongrie pour cause de cellules trop petites et surpeuplées, mais aussi au rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 30 avril 2014.  Dans l’affaire Caldararu, il s’agissait d’un mandat d’arrêt européen émis par une autorité roumaine mais cette fois à des fins d’exécution d’une condamnation pour conduite sans permis de conduire.

Dans son raisonnement, la Cour souligne l’importance fondamentale du principe de confiance mutuelle tout en reconnaissant que des limitations peuvent y être admises dans des circonstances exceptionnelles. Elle épingle également le caractère absolu de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants impliquant qu’aucune dérogation n’est admise. Ainsi, lorsque « des éléments attestant l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues dans l’État membre d’émission », l’autorité judiciaire d’exécution est tenue d’apprécier l’existence du risque. Pour ce faire, elle doit vérifier la réalité des défaillances et apprécier, « de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra ce risque en raison des conditions de sa détention envisagées dans l’État membre d’émission ». Et la Cour d’insister tout particulièrement sur l’importance du dialogue à nouer entre autorités d’exécution et d’émission. Tant qu’un tel risque n’a pu être écarté, l’exécution du mandat doit être reportée. Si l’existence de ce risque ne peut être écartée dans un délai raisonnable, l’autorité d’exécution se doit de refuser la remise.

Cet arrêt Caldararu – Aranyosi se caractérise par la recherche constante d’un équilibre entre l’efficacité du mandat d’arrêt européen et le souci du respect des droits fondamentaux. En reconnaissant la possibilité de prise en compte d’un risque pour les droits fondamentaux et en consacrant la possibilité de refuser in fine l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, la Cour de justice impose certaines limites à la confiance mutuelle. Elle contribue de la sorte à la résolution de certaines tensions entre sécurité et liberté

En se cantonnant logiquement aux questions des cas d’espèce, la Cour ne vide pas toutes celles qui se posent dans le cadre du mandat d’arrêt européen en matière de conciliation de l’efficacité et du respect des droits fondamentaux. Les affaires soumises à la Cour de justice concernaient le risque de violation future de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et non une violation qui aurait effectivement eu lieu. Il nous semble évident que, si le risque de violation future peut être pris en compte par les autorités d’exécution, cela doit a fortiori valoir en cas de violation effective du même droit. Ce qui n’apparaît, par contre, pas tranché c’est l’extension de cette jurisprudence à des risques de violations ou des violations effectives de droits fondamentaux qui n’ont pas de caractère absolu, comme le droit au procès équitable par exemple.  Nul doute dès lors que la Cour de justice aura très certainement à l’avenir à préciser sa jurisprudence en la matière.

 

Pour aller plus loin :

  • Emmanuelle Bribosia et Anne Weyembergh, « L’arrêt de la CJUE du 5 avril 2016, Aranyosi et Caldararu: imposition de certaines limites à la confiance mutuelle dans la coopération judiciaire pénale”, Journal de droit européen, 2016, à paraître;
  • Emmanuelle Bribosia et Anne Weyembergh, “Confiance mutuelle et droits fondamentaux: ‘Back to the future’ », Cahiers de droit européen, 2016, à paraître.