Marianne Dony est professeur ordinaire à l’ULB (faculté de droit et IEE), chaire Jean Monnet de droit de l’Union européenne. Elle a été directrice, vice-présidente et présidente de l’IEE et est, actuellement, présidente du Centre de droit européen.


6 avril 2016 : les néerlandais rejettent par référendum la ratification par les Pays-Bas de l’accord d’association entre l’Union européenne et ses Etats membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part.

Deuxième quinzaine du mois d’octobre 2016 : l’Union européenne, vingt-sept de ses Etats membres et le Canada ont les regards rivés sur la Belgique, où l’opposition de plusieurs entités fédérées bloque la signature du CETA entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses Etats membres, d’autre part ; Bulgarie et Roumanie, pour leur part, font le forcing pour obtenir des concessions du Canada dans le domaine des visas.

1er décembre 2016 : le Parlement wallon auditionne l’ambassadeur du Vietnam à propos de l’accord de libre-échange négocié entre cet Etat et l’Union européenne ; certains de ses membres émettent des réserves en soulevant des questions liées à la protection des droits de l’homme.

2 décembre 2016 : la Région wallonne menace de décréter une non ratification immédiate et définitive du CETA.

Décidément, il semble de plus en plus difficile pour l’Union de conclure des accords commerciaux. Comment en est-on arrivé là ?

La politique commerciale commune

Depuis l’origine, la politique commerciale commune a été considérée comme relevant de la compétence exclusive de la Communauté, devenue Union européenne. La motivation de la Cour, dans son avis 1/75, pour justifier ce caractère exclusif mérite d’être rappelée : « une telle politique est conçue (…) pour la défense de l’intérêt global de la Communauté, à l’intérieur duquel les intérêts particuliers des Etats membres doivent trouver à s’ajuster mutuellement. Or, cette conception est, de toute évidence, incompatible avec la liberté que les Etats membres pourraient se réserver, en invoquant une compétence parallèle, afin de poursuivre la satisfaction distincte de leurs intérêts propres dans les relations extérieures, au risque de compromettre une défense efficace de l’intérêt global de la Communauté ».

Ces dernières décennies, le commerce international a connu plusieurs bouleversements. De nouveaux acteurs économiques sont apparus. Le commerce des biens ne joue plus un rôle central et a été supplanté par d’autres domaines économiques, comme le commerce des services et l’ouverture des marchés publics, la protection des droits de propriété intellectuelle ou les investissements. Les obstacles aux échanges ont changé de nature : les obstacles tarifaires ont perdu de leur importance et l’accent est maintenant mis sur les obstacles non tarifaires, résultant de l’application des règlementations nationales, avec une volonté, d’une part, de renforcer la coopération en matière de réglementation et, d’autre part, de définir des normes internationales.

Face à l’enlisement complet des négociations multilatérales sur le commerce international, l’Union a entendu prendre ses responsabilités et s’est engagée dans la négociation bilatérale ou interrégionale d’accords commerciaux ambitieux, dont elle a voulu faire un instrument devant lui permettre de promouvoir ses valeurs et politiques, en particulier les droits de l’homme, le développement durable, la bonne gouvernance et le respect de l’environnement, et de tenter de propager ses normes comme nouveaux standards dans le commerce international.

Le traité de Lisbonne a pris acte de ces évolutions à la fois en réaffirmant solennellement la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune et en étendant, certes d’une manière prudente, le champ d’application de celle-ci aux échanges de services, aux aspects commerciaux de la propriété intellectuelle ainsi qu’aux investissements étrangers directs. Il résulte aussi d’une jurisprudence constante que la simple circonstance que des objectifs de développement ou de protection de l’environnement sont poursuivis par des accords commerciaux ne les fait pas échapper au domaine de la politique commerciale commune, dès lors que leur composante et finalité principale porte sur les échanges commerciaux.

À qui appartiennent les compétences?

Des arguments existent donc pour considérer que les accords commerciaux de nouvelle génération relèvent de la politique commerciale, en dépit de l’élargissement des thèmes qu’ils abordent. Mais c’est oublier que, dans le domaine des relations extérieures, les Etats membres restent très soucieux de conserver leurs compétences. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que, dans leur majorité, ils ont soutenu que ces accords excèdent le champ d’application de la politique commerciale et ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union. La Commission a décidé de solliciter l’avis de la Cour de justice à ce sujet, à propos d’un projet d’accord de libre-échange avec Singapour.

L’absence de compétence exclusive n’a pas automatiquement pour conséquence que l’Union ne peut pas conclure seule de tels accords. En effet, en vertu du principe du parallélisme de compétences, l’Union dispose potentiellement d’une compétence externe dans tous ses domaines d’action et elle peut exercer cette compétence pour peu que le Conseil (c’est à dire en réalité les Etats membres) en décide ainsi. Mais, lorsque la matière d’un accord relève non d’une compétence exclusive de l’Union mais d’une compétence partagée entre l’Union et ses Etats membres, les Etats peuvent aussi vouloir être parties à cet accord aux côtés de l’Union européenne, dans le cadre d’un accord mixte. Sans surprise, c’est exactement ce qui s’est passé pour les accords commerciaux de nouvelle génération. Et la Commission, pour des raisons politiques, s’est résolue à l’accepter, en attendant l’avis de la Cour de justice.

La conséquence en est que ces accords doivent être approuvés et ratifiés non seulement par les institutions de l’Union mais aussi par tous les Etats membres. Or, cette ratification s’apparente à un véritable parcours du combattant, s’étendant sur plusieurs années. Ainsi, l’exigence d’unanimité, dont on sait combien elle frappe l’Union européenne de paralysie au plan interne, a les mêmes effets dévastateurs au plan externe, d’autant qu’au passage, certains Etats membres semblent avoir perdu de vue l’obligation de coopération loyale et de solidarité qui s’impose à eux. De plus, c’est toute la capacité de négociation collective de l’Union européenne qui s’en trouve affaiblie.

L’avenir des accords commerciaux

Si les Etats persistent dans cette voie – et on peut le craindre au vu des évolutions récentes –, l’Union européenne n’aura d’autre solution que de se replier sur des accords commerciaux classiques, qu’elle pourra conclure seule, en renonçant à y inclure toute question relative aux investissements, à la normalisation ou au développement durable. Mais, ce faisant, elle devra aussi abandonner tout espoir d’amener ses partenaires à partager ses valeurs et à se rallier à ses normes sociales et environnementales.