Mario Telo est Président émérite de l’Institut d’études européennes et à la tête de l’école doctorale GEM.


Pour bien évaluer la portée des conséquences de la victoire du NON au referendum italien sur la réforme constitutionnelle du 4 décembre 2016 relative entre autres aux dispositions pour la fin du bicaméralisme paritaire, la réduction du nombre des parlementaires et la maîtrise du coût de fonctionnement des institutions, il faut éviter deux erreurs d’appréciation opposées.

La première erreur est de dramatiser excessivement les conséquences immédiates, comme le font plusieurs journaux internationaux (« séisme », « catastrophe », « Ital-exit », « Grillo au pouvoir ») . Bien sur les démissions du Président du Conseil des Ministres Matteo Renzi étaient inévitables (puisqu’ il a commis l’erreur de personnaliser l’enjeu du référendum sur la modernisation constitutionnelle).

Mais le Président de la République Sergio Mattarella ne veut pas d’élections anticipées et il a le pouvoir constitutionnel de les éviter, puisqu’une majorité légitime de centre-gauche existe au parlement jusqu’à 2018. L’Italie est une république parlementaire et le premier ministre ne doit pas passer par des élections directes mais par un vote parlementaire. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que Theresa May a remplacé David Cameron au Royaume-Uni sans passer par le vote populaire et que Helmut Kohl avait remplacé Helmut Schmidt en Allemagne en 1982, avec un bien plus grave changement de majorité parlementaire, sans vote du peuple allemand. Le parti démocratique, dont Matteo Renzi, rappellons-le, est toujours le leader, va donc légitimement indiquer au chef de l’Etat le nom d’un nouveau premier ministre.

Parmi les noms qui circulent, le prestigieux ministre de l’Economie Piercarlo Padoan. L’Institut d’études européennes de l’Université Libre de Bruxelles le connait bien en tant que collègue ; s’il était désigné et voté par le parlement comme nouveau premier ministre, il poursuivrait avec rigueur, selon l’auteur de ces lignes, l’effort de conciliation entre assainissement budgétaire et politique de croissance et de l’emploi. A court terme, les marchés et les partenaires européens n’ont donc pas beaucoup à craindre.

Par opposition, la deuxième erreur serait cependant d’ignorer le cadre européen et mondial très dangereux dans lequel l’échec de Renzi au référendum constitutionnel se situe. Les deux principaux partis italiens soutenant le NON (le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo et la Ligue du Nord de Matteo Salvini, alliée des fascistes de « Fratelli d’Italia ») sont tous les deux, à quelques nuances près, des partisans assumés de Donald Trump ainsi qu’ils l’ont déclaré, et ennemis de l’Euro. Leur victoire se situe ouvertement dans le cadre de la vaste révolte populiste contre la mondialisation et l’immigration, contre les traités internationaux au nom du protectionnisme et de l’intolérance nationaliste qui ont conduit au Brexit, à la victoire de Trump, aux 46% du vote de ce weekend pour l’extrême droite autrichienne de Norbert Hofer, aux sondages français en faveur du Front National de Marine Le Pen et hollandais en faveur du Parti pour la Liberté de Geert Wilders et ont contribué aussi aux positions les plus extrêmes du psychodrame wallon contre le CETA. C’est une sorte de mouvement inversé de 1968, au nom du repli et de la fermeture nationalistes. Un risque de tournant historique grave et inquiétant qui évoque nécessairement les années Trente.

Les deux partis populistes et extrémistes cités ne réussiront donc probablement pas à obtenir les élections immédiates en Italie. Mais ils se préparent à une victoire raz de marée en 2018, si un changement profond ne se produit pas rapidement tant en Italie qu’en Europe pendant l’année 2017. Au niveau économique l’Italie a obtenu la fin de l’austérité de la Commission européenne et doit saisir l’opportunité d’un plan d’investissement dans les infrastructures et la recherche. Au niveau européen, l’UE est à la croisée des chemins : soit l’Union européenne et ses Etats-membres, notamment les amis de l’Italie – avec à sa tête le seul leader antipopuliste survivant, Angela Merkel (malgré ses élections internes) mais aussi la Belgique – font un nouvel effort de solidarité pour aider l’Italie et la Grèce au niveau de la politique d’immigration (200 000 immigrés et réfugiés par an), en réduisant d’un côté leur nombre par des accords de l’UE avec leur pays d’origine et de l’autre, en redistribuant équitablement les nouveaux arrivants, contre les oppositions populistes et les murs construits par la Hongrie ou la Pologne ; soit la troisième économie de l’Eurozone, l’Italie, sera sans doute gouvernée en 2018 par des partis extrémistes qui demandent la sortie du pays de la zone Euro, signifiant la fin de l’histoire de la monnaie commune (ou son maintien seulement pour un petit club des pays nordiques côtés « AAA » par les agences de notation, ce qui revient au même).