Jean-Stanislas BarethJean-Stanislas Bareth est étudiant en première année à l’IEE-ULB. Après un bachelier en sciences politiques à l’ULB durant lequel il a pu écrire pour le Journal étudiant « Eyes on Europe », il continue d’approfondir ses connaissances sur l’Union européenne avec le master en études européennes.

Thomas RambaudThomas Rambaud est étudiant en deuxième année à l’IEE-ULB. Après deux années passées à l’ULB en sciences politiques, il a réalisé une année Erasmus en Suède à Uppsala. Aujourd’hui en deuxième année du master en études européennes, il continue d’écrire son mémoire et de publier des articles pour Eyes on europe.


Suite aux différents panels et conférences organisées par l’Institut d’études européennes sur la Solidarité Européenne dans le cadre du projet Centre d’excellence Jean Monnet (6-7 juin et 5 Septembre 2019), deux étudiants de notre Institut ont interrogé Monsieur Georges Dassis, ancien Président du Comité économique et social européen (CESE), sur plusieurs thèmes liés à la solidarité européenne : le Brexit, le bilan de la dernière législature de l’UE et sur quels éléments souhaiterait-il apporter des améliorations.

Peut-on être fier de l’Europe actuelle ? Sommes-nous en meilleure forme qu’il y a 5 ans ?

Oui, nous pouvons être fiers de l’Europe. L’Europe existe, la paix persiste et cette dernière n’est jamais garantie à priori. L’Europe a connu des progrès indéniables sur le plan de l’intégration, de la solidarité (fondement de cette Union européenne) et sur le plan social sur ces cinq dernières années, même si c’est insuffisant.

La jeune génération, la vôtre, a la chance d’être née dans un régime de libertés d’expression, d’association, dans des nations démocratiques.

Il y a un bien-être partagé et garanti par la paix. Moi, qui suis né au début de la guerre civile grecque (1946-1949), j’ai ainsi vu 3 générations qui n’ont pas connu de guerre. Cette paix provient de l’existence même de cette Union européenne, autrefois Europe des six qui avait rapidement reçu des demandes d’élargissement : la Grèce en 1961 suivie par le Portugal et l’Espagne. Ces accords d’associations avaient été jusqu’alors gelés du fait que ces pays étaient des dictatures. L’Union se voulait déjà la protectrice des libertés démocratiques.

Nous sommes en meilleure forme qu’il y a cinq ans grâce au Plan Juncker et surtout à la personnalité de Jean-Claude Juncker, avec qui j’ai eu la chance de travailler durant mon mandat de Président du CESE. Il y a donc eu un renouveau, car cette union avait des principes et des fondements : un de ces fondements était la solidarité, incarné, par exemple, par le Fonds Social Européen. Sa mission était de réaliser une « égalité des chances » entre les Etats membres qui présentaient de fortes disparités au fil des élargissements.

L’impact macroéconomique du plan Juncker - Résultats de la Banque européenne d'investissement
L’impact macroéconomique du plan Juncker – Résultats de la Banque européenne d’investissement

Ainsi tous ces actes concrets de solidarité ont eu un réel succès. Mais en 2008 nous avons subi les conséquences catastrophiques d’une crise financière ‘importée’, rappelons-le. Les chefs d’États et de gouvernements, en plus du rôle de la Commission qui aurait pu être meilleur, ont largement oublié ce concept fondateur. Certains pays qui se portaient bien, comme l’Allemagne, se sont enrichis sur le dos de pays en difficulté comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal. En effet, le contexte de crise entraîna une fermeture des pays membres sur eux-mêmes. En prenant un exemple précis : ce fût le FMI qui acceptait de prêter de l’argent à la Grèce avec des conditions acceptables au lieu de l’Union européenne. Selon moi, il n’y a pas de place pour penser de manière égoïste, nous devons progresser et avancer ensemble et ne pas chercher à être un pas en avant des autres.

Heureusement Jean-Claude Juncker est arrivé. J’avais commencé à l’époque une critique constructive sur le Plan Juncker où j’avais poussé pour que les investissements soient plus élevés. Son plan est, selon moi, un succès et voilà pourquoi je pense que nous sommes en meilleure forme qu’il y a cinq ans.

Le Brexit est-il alors la conséquence directe d’un manque de solidarité européenne ?

J’ai pris position en faveur d’un maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Le référendum a donné le résultat que l’on connait. Mais bien que je ne sois pas anglophone, j’avais senti, lors de mes voyages au Royaume-Uni, un réel attrait pour le projet européen.

Cependant il y a toujours des personnes pour rappeler les choses qui ne fonctionnent pas au sein de l’UE. Et les personnes qui ne sont pas expertes ont tendance à croire et à écouter ces critiques comme étant sacrées. Pour moi, depuis l’adhésion du Royaume-Uni, il n’y a jamais eu une décision importante où ce dernier n’a pas mis un frein. C’est triste, car culturellement, historiquement, politiquement, l’île britannique fait partie intégrante du continent européen. En 2016 nous nous demandions ce qu’allaient devenir les anglais des institutions européennes et trois ans et demie plus tard, ils ne sont toujours pas sûrs de sortir.

En regardant le passé il faut se dire que l’avenir ne doit pas être pire mais meilleur.

L’Europe sociale est-elle l’un des seuls moyens efficaces de relancer l’idée européenne ?

C’est un moyen très important, ce n’est pas le seul et il n’est pas suffisant.

En quelques mots je dirais que l’UE était à la base une union économique, le social était accessoire. Il a commencé à prendre une plus grande place, mais il reste encore beaucoup à accomplir. Ayant eu l’unanimité des membres du CESE, j’ai proposé un revenu minimum. Je pousse surtout pour une assurance chômage européenne. Selon moi, si cette assurance existait au niveau européen, on garantirait à ses habitants de pouvoir survivre sur place. Ainsi on éviterait des mouvements de migrations importants. Cette mesure serait bénéfique à des degrés différents dans tous les pays européens.

Dans l’immédiat il devrait y avoir une vraie politique européenne de défense.

Malgré tous les efforts de Federica Mogherini et toute sa bonne volonté, que j’ai ressenti au travers de nos discussions, elle a fait avec « les moyens du bord ».

Que pensez-vous d’un commissaire chargé de défendre le mode de vie européen ? Y a-t-il un mode de vie européen ?

On a fait beaucoup trop de bruit sur cette question, à mon avis c’est maladroit, parce que ça peut être interprété d’une manière différente. C’est quoi le mode de vie européen ? C’est des pays qui sont démocratiques, garantissent les droits de l’homme, l’état de droit, la liberté syndicale, etcetera. Un pays, pour qu’il adhère à l’UE doit remplir des critères, mais pas seulement des critères de développement économiques; il doit aussi respecter l’acquis communautaires, il doit respecter les principes et les valeurs de l’union européenne. Si on s’intéresse aux migrants, par exemple, on ne peut pas accueillir 50 millions de migrants économiques, ce n’est pas possible, par contre,

nous avons l’obligation morale, mais aussi légale d’accueillir les vrais réfugiés, ceux qui fuient l’oppression, la guerre, la mort.

En nous penchant du côté judiciaire, les pays membres sont liés par leur signature de la convention de Genève de 1951. Cette dernière permit d’accueillir les réfugiés du bloc soviétique et plus particulièrement les hongrois après 1956. Il est donc paradoxal qu’aujourd’hui, le gouvernement hongrois refuse d’accueillir le moindre réfugié et travail avec la Turquie pour la conservation des réfugiés sur son territoire.

Quel conseil donnerait Georges Dassis à de jeunes étudiants ?

D’abord, il faut rester optimiste, mais pas un optimisme stupide : il faut se dire que rien ne viendra jamais tout seul, il ne faut pas rester inactif. Il ne faut pas penser qu’aujourd’hui est plus difficile qu’hier car c’est faux. Hier et dans ma jeunesse, c’était pire. Il faut participer à la vie citoyenne, il faut avoir des projets, pas forcément des projets grandioses, mais il faut penser à soi et à autrui. Il faut aider celui qui se porte moins bien à aller mieux.

Vous avez aussi un intérêt immense à faire connaitre cette Union européenne, à la critiquer, à l’améliorer, mais non pas la démolir.

Les critiques doivent être constructives Il ne faut pas tomber dans le piège des populistes, que ce soit d’extrême gauche ou d’extrême droite qui mettent sur le dos de l’Europe tout ce qui ne va pas. Vous ne devez pas tomber dans leurs jeux et combattre les fake news, pour rétablir la vérité et encourager l’Union européenne.