L’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, plus connu sous le nom de CETA, a fait couler beaucoup d’encre depuis sa conclusion et de nombreuses discussions ont été organisées afin d’en analyser toutes les ramifications, avec les éclairages apportés par des experts, académiques et praticiens. L’IEE et l’Ambassade du Canada avaient déjà eu l’opportunité d’accueillir un premier échange virtuel lors d’une première web-conférence organisée le 5 juin 2020, intitulée Évaluer le CETA : acquis, problèmes et contexte international. Suite au succès rencontré, et les nombreuses autres questions soulevées par le sujet, l’Institut et l’Ambassade n’ont pas pu résister à l’idée d’organiser une nouvelle discussion, intitulée « La coopération transatlantique au-delà du CETA ».

La webconférence organisée le 29 mars dernier a ainsi offert aux académiques et praticiens européens, belges et canadiens la possibilité d’aborder de nouvelles dimensions de cette coopération.

La web-conférence a été ouverte par quelques mots de bienvenue, l’échange ayant été engagé par S.E. Monsieur Alain Gendron, Ambassadeur du Canada auprès de la Belgique et du Luxembourg, qui a salué cette «nouvelle rencontre permettant la participation du grand public avec des panels plus inclusifs pour un débat encore plus riche ».

La Vice-Présidente de l’IEE, la professeure Emmanuelle Bribosia, a ensuite salué le « plaisir d’avoir à nouveau l’opportunité de suivre des échanges riches et interdisciplinaires » tant les enjeux démocratiques, économiques ou juridiques au cœur de cette coopération transatlantique font écho à des questions d’actualité brûlantes.

Le professeur Serge Jaumain, de l’Université libre de Bruxelles, a quant à lui débuté la conférence en procédant à un rappel historique expliquant les étapes du parcours de l’accord conclu entre l’UE et le Canada afin de poser les bases de ce webinaire sur la coopération transatlantique au-delà du CETA.

La montée des préoccupations locales au sujet du commerce multilatéral et bilatéral et son impact

La professeure Louise Fromont de l’Université libre de Bruxelles a ouvert les débats en modérant le premier panel d’intervenants qui se sont intéressés à la prise en compte des exigences démocratiques lors des négociations d’accords commerciaux.

Le professeur Patrick Leblond de l’Université d’Ottawa a présenté son intervention intitulée « Après le CETA : Status Quo Ante ? », qui se concentre sur l’implication des juridictions régionales et provinciales dans les négociations commerciales tant au sein de l’UE qu’au Canada. Pour le Prof. Leblond, la pratique actuelle, écartant les éléments entrant dans le champ des compétences de ces dernières des accords commerciaux, représente un pas en arrière. Une plus grande coordination est d’autant plus nécessaire, car l’exercice de compétences règlementaires au niveau des entités locales peut aboutir à la création de nouvelles barrières commerciales, notamment sur des sujets comme l’économie numérique ou les enjeux climatiques.

Ensuite, le professeur Dirk de Bièvre, de l’Université d’Anvers, a analysé  « Le paradoxe de faiblesse et de force dans la politique commerciale de l’Union Européenne », en se focalisant sur le pouvoir de négociation de l’UE, qui dépend en grande partie de l’attractivité de l’UE pour ses partenaires extérieurs et du mandat accordé à la Commission européenne. Sa capacité d’entraîner des changements durables, en assurant « l’enforcement » ou la mise en œuvre des accords, est en partie liée aux mécanismes prévus dans ces textes, et la participation des entités fédérées est essentielle pour assurer le lien entre la politique commerciale et certains sujets, tels la protection de l’environnement, tant au cours des négociations, que lors de la ratification et la mise en œuvre des accords.

Madame l’euro-députée Maria Arena a clôturé ce premier panel. Ella a tout d’abord rappelé que si les choses ont évolué, comme dans le cas des batailles menées par le Parlement européen contre les tribunaux d’arbitrage qui ont été transformés en ‘Investment Court System’ (ICS), cette évolution requiert une énergie constante, et reflète les rapports de force entre l’UE et ses partenaires. La promotion des standards de « développement durable » reste soumise à des mécanismes de mise en œuvre faibles, et il existe  une « schizophrénie européenne dans les accords commerciaux », où les mécanismes internes ne permettent pas au Parlement européen ou aux parlements nationaux d’insister sur la conformité des accords commerciaux avec des accords plus larges, tels que l’accord de Paris sur le climat.

Redéfinition des priorités commerciales à la lumière de la pandémie : faire face à la crise multilatérale par un nouvel engagement multilatéral et bilatéral

Ce deuxième panel, présidé par le professeur Mario Telò de l’Université libre de Bruxelles, met en lumière ce qui constitue selon lui « un tournant pour le multilatéralisme global ».

Le professeur Christian Deblock de l’Université du Québec à Montréal a commencé sa présentation en soulevant le problème de l’érosion de la légitimité de l’Organisation Mondiale du Commerce, mais aussi des accords commerciaux. Il se demande ensuite si les accords commerciaux régionaux ne peuvent pas être utiles pour relancer le multilatéralisme. Selon lui, le débat régionalisme/multilatéralisme est souvent faussé, car se concentrant uniquement sur la contribution des accords régionaux à l’ouverture et développement des échanges, alors que ces accords n’ont pas cette préoccupation, et qu’ils sont fondés sur des dimensions géostratégique, économique et idéologique. Cette dernière, marquée par le soutien à certaines valeurs, peut être mobilisée et servir de levier pour fonder des alliances plus larges de pays partageant les mêmes valeurs.

Ensuite, le professeur Michel Goldman de l’Université libre de Bruxelles s’est penché sur la coopération transatlantique en matière de vaccins, qu’il considère comme un enjeu majeur pour la santé mondiale. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’« il y a nécessité d’une collaboration transatlantique étroite, et cela commence aussi par la science ». Il a souligné à cet égard l’importance des partenariats entre acteurs publics et privés, tant au sein de l’UE qu’au Canada, notamment pour assurer une production de masse des vaccins qui va de pair avec un accès équitable à ces derniers. 

Enfin, la professeure Laura Puccio de l’Université libre de Bruxelles s’est intéressée aux positions de l’UE et du Canada face aux restrictions à l’exportation de produits essentiels. Elle a souligné l’importance d’une coordination au niveau international, qui s’accompagne d’une attention portée aux capacités de production disponibles dans chaque pays, tant les réponses apportées lors de la crise du Covid-19 (libéralisation vs restrictions) ont varié d’un pays à l’autre, et ont entraîné par un effet domino une augmentation des restrictions. Elle souligne comment la création du Groupe d’Ottawa visant à limiter l’impact de ces restrictions a un impact clair sur la règlementation européenne, et illustre à cet égard l’influence réciproque entre l’UE et le Canada.

Vers une action diplomatique commune dans les instances multilatérales

Le dernier panel de la conférence « La coopération transatlantique au-delà du CETA », modéré par la professeure Chloé Brière de l’Université libre de Bruxelles, a porté sur la mise en place d’une action diplomatique commune dans les instances multilatérales et les interventions se sont plus particulièrement concentrées sur la question des mécanismes de règlements des différends entre investisseurs et États.

La professeure Andrea K. Bjorklund de l’Université McGill s’est intéressée au projet de code de conduite pour les arbitres en se concentrant sur les clauses controversées telles que celles concernant les obligations de divulgation ou celles régissant la double casquette de certains arbitres. Elle a ensuite analysé comment ce projet s’insère dans l’initiative de la création d’une cour multilatérale permanente, portée par l’UE et reprise dans ses accords commerciaux récents, tels que le CETA.

Le professeur Nicolas Angelet de l’Université libre de Bruxelles a, quant à lui, abordé la question de la réciprocité totale en matière de règlement des différends. Il souligne d’entrée un déséquilibre : d’un côté les investisseurs bénéficient d’une offre permanente de recourir à l’arbitrage prévue dans les traités bilatéraux et multilatéraux sur les investissements, tandis que les États ne peuvent pas recourir à une telle possibilité. Pour corriger ce déséquilibre, la possibilité des États de recourir à une demande reconventionnelle doit être explorée pour permettre aux États d’agir contre des investisseurs, en invoquant certaines normes non économiques, soit devant leurs propres tribunaux, ou en recourant à l’arbitrage.

Finalement, Madame Amandine Van den Berghe représentant l’organisation environnementale ClientEarth a rappelé les inquiétudes et critiques de la société civile concernant le mécanisme de règlements de différends prévus dans les accords conclus par l’UE, qui peut parfois entraîner une certaine paralysie règlementaire. Elle a ensuite analysé le nouveau modèle d’une cour permanente proposé par l’UE et a souligné son incapacité à répondre à l’ensemble des critiques précédemment soulevées, notamment celles concernant les difficultés d’accès à la justice pour des tierces parties souhaitant faire valoir la protection de leurs droits. 

Pour finir, Madame Areg Navasartian Havani, assistante au Centre de droit européen de l’Université libre de Bruxelles, a marqué la fin de cet échange par quelques mots de clôture et de remerciements chaleureux.